EDITORIAL TRIMESTRIEL de Jean Pellegrino [Actualité économique et du crédit du 1er juillet au 30 septembre 2006] - ARC®

Marché de l'immobilier : le doute serait-il permis ?

On croirait parfois revivre, sur un marché de l'immobilier davantage réputé pour flatter le besoin de sécurité de l'investisseur, les heures qui précédèrent le krach boursier de 2000 (éclatement de la bulle Internet) : "Le marché de l'immobilier peut encore progresser" répètent en cœur certains indécrottables de la pierre. Sans doute "cousins" de ceux qui voyaient dans toutes les start-up de 1999 les valeurs indéboulonnables de la "nouvelle économie", les aficionados de l'immobilier ont beau jeu de parler de "prévisions déjouées depuis 2 ans". Qu'ont-ils constaté, en effet, pendant que d'autres ne cessaient de crier au feu ? Croissance des prix, du nombre de transactions (quand bien même les taux auraient connu un léger frémissement), mais aussi capacité d'endettement des ménages préservée, valeur locative toujours en rapport avec les prix à l'achat... Une sorte de déni de prudence donc, non dénué, tout de même, d'une certaine modération : tous s'accordent à penser que, s'il ne s'agit pas d'une bulle, prête à éclater, le marché finira par s'apaiser… peu à peu.

Cet apaisement progressif et probable du marché, pronostiqué par certains, ne peut manquer d'être comparé à l'alarmisme d'autres observateurs qui s'inquiètent, en Espagne comme en Angleterre, en Europe comme aux Etats-Unis, d'un écart grandissant entre la valeur réelle des biens et leur prix de marché (un delta de 35% en Espagne). En Grande Bretagne, nombre d'expropriations ont ainsi sonné le tocsin de cet optimisme modéré. Aux USA, la baisse du volume des prêts immobiliers (- 29% sur un an glissant à fin juillet) laisse planer la crainte sur les effets indirects d'un tassement du marché de l'immobilier sur la consommation des ménages (indicateur symbolique s'il en est, de la première économie mondiale).

Des taux toujours assez bas, favorables au marché immobilier, ne pourront cacher longtemps encore un pouvoir d'achat qui ne progresse pas et qui ne peut donc justifier les niveaux de prix atteints, presque partout dans le monde et en tous cas en Europe. Une Europe "limite", des Français qui "calent", autant d'expressions qui traduisent une réelle inquiétude que résume Marc Touati, responsable des études économiques de Natexis Banque Populaire, en soulignant un écart de 1 à 4 entre "la valeur réelle, c'est-à-dire la richesse créée dans l'Hexagone augmentée de l'inflation, et la valeur financière" des biens immobiliers négociés. Un écart comparable, conclut-il, à celui constaté en 1991 (année de déclenchement de la dernière crise immobilière) comme sont comparables les niveaux actuels d'octroi des prêts immobiliers et ceux de 1991. Sans vouloir jouer les Cassandre… le doute a-t-il encore sa place ?

Espace unique de paiement en Europe : "Dans la douleur tu enfanteras !"

La majorité des grandes banques européennes est animée d'une double certitude : celle, tout d'abord, de devoir jouer un rôle essentiel et autorégulateur dans le processus qui devra conclure, d'ici à 2010, à un espace unique de paiement européen, et celle de devoir le faire sous le contrôle actif de Bruxelles. Ces mêmes banques sont tout aussi convaincues que la Commission devra intervenir dans le processus et légiférer pour acter définitivement, le moment venu, par des textes, ce qui sera passé peu à peu dans les usages. Pour autant, ces mêmes banques ne goûtent que modérément l'insistance avec laquelle Bruxelles les presse pour mettre d'ores et déjà à disposition du public européen des moyens de paiement harmonisés et moins onéreux.

Ainsi, les diverses instances européennes (Conseil, Commission, BCE), par ailleurs très actives auprès des établissements européens (afin qu'ils respectent mesure et jeu de la concurrence quant à leurs tarifs, concertation au sujet de leur nécessaire harmonisation, solidarité européenne en matière de consolidation), subissent la mauvaise humeur de ces mêmes établissements qui constatent que trop d'efforts leur sont demandés en l'absence du cadre juridique qui aurait pourtant dû entrer en vigueur depuis fin 2005.

Ainsi, privées des règles formelles permettant l'instauration d'une confiance indispensable à l'élaboration du processus d'harmonisation tant attendu, ces mêmes banques risquent fort de devoir souffrir des risques que le processus européen en marche leur demande de prendre. Ces risques, somme toute limitésentre "gens du même monde", demeurent toutefois, à n'en pas douter, la pierre d'achoppement entre une Europe qui a du mal à s'harmoniser sur le plan politique et juridique, et des entreprises d'un secteur bancaire depuis toujours assises sur leurs ultra réglementations nationales, condition d'exercice du "métier". L'accouchement d'un espace unique ne pourra donc se passer sans douleur, voilà ce dont on peut d'ores et déjà être certains !

Fin de règne pour l'empereur U.S Dollar ?

Lorsqu'en 2002 paraissait le livre d'Emmanuel Todd, Après l'Empire, essai sur la décomposition du système américain (Ed. Gallimard), l'attentat du WTC venait d'avoir lieu et l'administration Bush ne s'était pas encore lancée dans son conflit avec l'Irak. L'une des thèses de cet ouvrage présentait les USA comme un pays certes puissant, mais devant chaque jour apporter davantage la preuve de cette puissance. Ces efforts ne visaient, selon E. Todd, qu'à rassurer les investisseurs internationaux afin qu'ils continuent de faire affluer leurs fonds, autant sur les marchés boursiers que pour souscrire aux emprunts d'Etat (les fameux "T bond"). Ainsi l'Amérique s'est engagée depuis plus de 60 ans dans une course à la puissance avec pour seul objectif de financer sa croissance.

Quatre ans plus tard, de nouvelles puissances industrielles ou exportatrices d'énergie, telles la Chine et la Russie, sont devenues des puissances financières à convaincre… Pour ce faire, les déficits publics et commerciaux des pays Européens, en raison de leur faible niveau, comparativement à ceux des Etats-Unis, ne placent pas ces mêmes pays dans l'obligation de surenchérir. Les USA, confrontés à leurs déficits, à la baisse du dollar et au ralentissement économique, sans aucune marge de manœuvre à cause d'un conflit Irakien qui n'en finit plus, présentent une image bien différente. Ainsi, sont aujourd'hui peut-être réunies les conditions du glissement progressif de la confiance des grands argentiers de ces nouvelles puissances financières, glissement du Dollar vers l'Euro, mais aussi, plus marginalement, vers l'or, la Livre sterling et le Yen.

Pour l'instant limité à la constitution des nouvelles réserves Russe et Chinoise, cet ajustement ne concerne encore ni un rééquilibrage radical, ni les réserves caisses centrales Indienne, Coréenne ou celles des pays de l'Opep. Il ne s'agit cependant pas moins d'une véritable difficulté à drainer les capitaux à laquelle sont confrontés les USA, difficulté dont la perte de confiance des banques centrales Russe et Chinoise semble être à l'origine, depuis que la première économie du monde commence d'être perçue comme un foyer de risque, bien moins que de sécurité. Cette "correction" peut-elle s'apparenter à une fin de règne pour une devise qui berce, à elle seule et depuis plus d'un demi-siècle, les rêves de tous les investisseurs de la planète ?

Actualité en France

Le "modèle de banque à la française" serait-il l'un des plus "concentrés" au monde ? Deux chiffres tendraient à le prouver : 90% des dépôts, 80% des crédits sont détenus par les 6 premiers établissements hexagonaux. C'est que depuis 10 ans les réseaux ne cessent de se regrouper autours de ces enseignes qui produisent la majeure partie de l'offre. BNP et Société Générale en sont parmi les meilleurs représentants, qui ont annoncé, en ce début de second semestre 2006, des résultats de très bon niveau. Ainsi, même si le secteur s'attend à devoir passer dans les années à venir un certain nombre de caps délicats (recruter massivement, rechercher les relais de croissance indispensables en compensation de la baisse des marges sur un marché domestique arrivé à maturité, subir politiques et discours incitatifs ou prudentiels, souvent contradictoires, des pouvoirs publics), "l'industrie bancaire française" a le vent en poupe (voir "Actualité en Europe et dans le Monde").

Cet avenir ne semble même pas devoir être obscurci par le sentiment qui étreint nombre de Français : celui d'être trop endetté, alors même que le taux moyen d'endettement reste largement inférieur à la moyenne européenne (anglaise notamment). Car les Français dépensent, ou du moins ont connu un été dépensier, et devraient être encore davantage encouragés à s'endetter, au moins pour l'acquisition de leur résidence principale : relance de la politique d'encouragement à la propriété par l'augmentation du nombre de prêts à taux zéro et mise en place d'un véritable parcours résidentiel aboutissant à la propriété de la résidence principale.

"Faciliter le crédit à la consommation" semble être devenu le mot d'ordre à la mode et tous les moyens sont bons : amélioration des conditions d'assurance des personnes handicapées (convention AERAS), réforme du taux de l'usure (rapport Bipe), banalisation de la consolidation de créances qui accède enfin à un statut d'outil de gestion de la dette à disposition du particulier et del'entreprise. Notons toutefois, dans ce descriptif si optimiste pour le secteur du crédit, deux réformes qui lui sont pourtant favorables mais qui ont du mal à s'implanter. La première, vise l'instauration d'une véritable médiation bancaire, à même de décrisper les relations entre l'usager et son banquier : elle cherche sa voie et ne rencontre pas le succès escompté. La seconde, celle de l'hypothèque rechargeable, réforme parfois présentée comme révolutionnaire, ne parvient pas, elle non plus, à trouver son public.

Actualité en Europe et dans le Monde

La Société Générale aurait-elle décidé de partir à la conquête du Monde ? En tout cas, ce dont Zidane rêvait, Bouton l'a fait : premier établissement français a être élu "meilleure banque du Monde" pour l'année 2006 par le magazine Euromoney, la Société Générale vient de rafler en Slovaquie sa 18e implantation d'un établissement de crédit à la consommation dans le monde depuis juin 2004 (date de lancement de sa stratégie internationale sur ce segment d'activité). Comme prévu et annoncé de longue date, d'autres acquisitions et créations devraient suivre rapidement, dont une au Portugal, en Bulgarie, Kazakhstan et Algérie. Ses encours internationaux dépassent à présent les encours domestiques (65% du total contre 35%). Pour conclure sur ce point, signalons la dernière conquête de la banque : 20% de Rosbank, 2e banque de détail Russe (on parle de la majorité d'ici deux ans).

Notons que ce développement spectaculaire à l'international d'une banque européenne (développement, en fait, commun à de nombreux établissements français et européens en recherche de relais de croissance) se fait sur fond de discours de plus en plus pressant de la Commission, à l'adresse des établissements européens, pour qu'entre en jeu davantage de concurrence. Constatant de graves déséquilibres dans les tarifs pratiqués en différents pays de la Communauté, Bruxelles ne fait en effet plus mystère de sa détermination à contraindre les acteurs du marché… qui s'en vont chercher ailleurs les marges que leurs marchés historiques ne pourront probablement plus guère leur procurer d'ici peu.

Mais peut-être les banquiers européens se découragent-ils un peu vite en matière de perspectives de développement en Europe occidentale : 20 milliards d'Euros de profits sur 5 ans, c'est ce que les banques seraient en effet en train d'abandonner sur ces marchés domestiques en ignorant la demande des professionnels (libéraux, artisans, commerçants…). Attitude d'autant plus troublante qu'elle se double de conditions de plus en plus resserrées dans l'octroi de crédits aux entreprises alors que l'endettement des particuliers continue d'être encouragée, au-delà parfois de toute raison (cf. le succès déconcertant des "prêts rapides" en Espagne). Qu'en penserait le prix Nobel de la paix, distingué pour avoir popularisé les micros crédits accordés à de très petits projets professionnels ?

Taux / Devises

La tendance amorcée en début d'année s'est concrétisée sur les second et troisième trimestres : le taux de refi de la BCE a de nouveau été remonté (3% début août) et le sera probablement encore avant la fin de l'année (3,50% selon le consensus). La pression inflationniste en Europe, comme aux Etats-Unis (qui a remonté son taux directeur à 5,25% soit un très haut historique), demeure à l'origine de ces mesures d'apaisement appliquées à la machine économique. La croissance, qui est attendue en 2006 aux alentours des 4,40% si l'on s'en tient à l'analyse des spécialistes de la BRI (banque centrale des banques centrales), par le risque d'inflation qu'elle induit, conduit tout naturellement à ce type de mesures, plutôt préventives. Cependant, la gravité du risque soulevé par de nombreux commentateurs n'échappera à personne : si les taux progressent trop et trop vite, il est probable que le marché du crédit, puis de l'immobilier, en souffriront et précipiteront les économies occidentales au cœur d'une spirale de récession. La croissance de ces économies repose en effet sur un marché de l'immobilier exceptionnellement vigoureux depuis 10 ans.

L'émergence de nouvelles économies, à l'Est comme en Asie, n'en finit pas de troubler un ordre du monde jusque là bien établi. Ainsi, le Rouble, devise jusque là symbole de la non-convertibilité, a-t-elle accédé cet été au statut de monnaie convertible. Une politique fiscale rigoureuse, des excédents commerciaux solides favorisés par une providentielle flambée du baril de pétrole, ont en effet permis à l'ancien leader du bloc soviétique de s'affirmer durablement contre l'Euro. Sa convertibilité n'a pas entraîné de fuite de capitaux, tant l'économie Russe rassure aujourd'hui, autant qu'elle inquiétait hier. La Chine, autre nouveau géant de l'économie mondiale et grand pourvoyeur de flux financiers en direction de l'Occident, bouleverse également les habitudes en appréciant le Yuan en même temps qu'elle fait montre de sa volonté de favoriser une croissance harmonieuse et encourage le développement d'une demande intérieure.

Après avoir inondé les marchés mondiaux de produits manufacturés de toutes natures, l'Empire du milieu serait-il à l'origine d'un mouvement inflationniste mondial dû à la flambée des matières premières ainsi qu'à l'émergence de revendications salariales (autre phénomène nouveau et présage de grands bouleversements) ? Hypothèse peut-être encore exagérée, mais symptomatique du poids réellement pris par ce pays dans l'équilibre économique mondial.


Achevé de rédiger le 31 octobre 2006


Jean Pellegrino - Rédacteur d'articles, de revues de presse et d'éditoriaux. Son ambition est de faire partager un point de vue synthétique et original sur l'actualité économique en général et du crédit ou du rachat de crédits en particulier, tout en insistant sur les enjeux liés à cette activité.


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